"Marcher dans la rue, ouverte, visage, cœur, poumons, regards, inspiration. Laisser pénétrer les visages, les corps, les attitudes, les paroles, les interjections qui ne me sont pas destinées. Tout prendre à m’en faire tourner la tête. J’ai huit ans ou dix et je cherche un banc sur lequel une autre personne est déjà assise le regard un peu perdu à contempler les arbres ou les pigeons. Je m’assois et j’attends. J’ai soif de l’autre, de son monde, de sa voix, des histoires qu'il recréait avec ses souvenirs, de sa mythologie personnelle.

Combien de fois, dans un parc ou dans un train, ai-je eu cette attitude assoiffée de l’autre ? J’ai choisi le plus vieux, ou le plus fou, ou le plus loqueteux et je me suis assise. J’ai ouvert ma bouche pour que l'autre ouvre la sienne. J’ai écouté sa voix comme un souffle venant me réchauffer d’humanité, de la tragédie intrinsèque à la vie, de la perte, de la mort et de la vie qui subsiste malgré tout. Comment nommer cette chose qui était ma raison d’exister, un lien avec la vie aussi nécessaire que l’eau et le manger? Un ensemble de visages qui peuplaient le mien, erraient dans ma tête et dans le monde que j’habitais.

Des visages et des histoires. De la révolte contre la vie emprisonnée, contre les difficultés d’espérance. De la colère face à l’amour ne peut pas grandir, faire grandir. Trop de misères qui ferment les portes. De l’empathie. Quelque chose de fondamental: l’espérance au milieu du chaos et la vie qui subsiste.

Ce qui m’a toujours fascinée c’est que les autres existent, qu’ils ont une existence aussi grande que la mienne et que cette existence m’est très peu perceptible puisqu’elle est contenue dans le corps de l’autre. Quelle vie y a-t-il dans le corps de l’autre, et par extension, dans le mien ? Des hommes que je regardais comme des énigmes, comme les détenteurs de réponses à ma propre personne. La possibilité de me connaître, de me comprendre, de comprendre la vie à travers l’autre''.

Julie Villeneuve, pour la Cie du Facteur indépendant